Je crois en la culture, je pense que l’éducation et la culture forgent une société et font sa force et sa stabilité. La culture peur éduquer, peut servir pour se rendre compte de quelque chose de la réalité. Je pense qu’aujourd’hui, dans un monde ou plus personne ne change d’idées et dans lequel la majorité des débats sont stériles, la culture est la dernière chose qui peut encore permettre de bousculer des consciences.
Ce mercredi 17 novembre 2021 sera à marquer d’une pierre blanche, la sortie du morceau accompagné du clip « L’odeur de l’essence » d’Orelsan, premier extrait de son nouvel album Civilisations qui sortira ce vendredi.
Il y a quatre ans, en 2017, le rappeur de Caen était déjà revenu avec un morceau et un clip qui avait marqué les esprits « Basique ». Morceau qui en avait surpris plus d’un dans lequel il rappelait des faits évidents à chaque phase, sans rapport entre elles. Avec ce morceau, il y avait déjà un souhait de faire ouvrir les yeux sur des choses simples que les gens avaient oubliés, même normalisés. Mais le son était écrit de manière plus absurde, presque ironique. Ce n’est pas le cas avec l’odeur de l’essence.
Dès que le morceau se lance, on comprend à l’instrumentale que le morceau ne sera pas aussi léger que Basique. Skread nous livre encore ici un pur chef d’œuvre, le genre d’instrumentale qui pourrait totalement être écouté sans paroles tellement les variations sont nombreuses et que l’on entend une nouvelle piste, un nouveau kick, une nouvelle influence à chaque seconde. Le début avec cette voix aigue me rappelle celle de l’instrumentale de Là-haut de Hugo TSR quand son synthétiseur envoutant nous transporte dans une ambiance de rite sectaire. On sent l’intensité monter au fur et à mesure comme si l’on allait assister à un sacrifice, une mise à mort. Et soudain, le synthétiseur et la voix se coupent pour uniquement laisser la place aux percutions et aux paroles d’Orel. Dès la première phase, on comprend de quoi ce morceau va traiter, c’est politique, c’est polémique, il va ici nous rappeler des bases, mais sans ironie ni compromis « La nostalgie : leur faire miroiter la grandeur d’une France qu’ils ont fantasmée ».
Avec cette première partie du morceau, on entend aussi l’évolution d’Orelsan, son flow entrecoupé des « Regarde » nous renvoie à celui de Laylow dans les premières secondes du son d’introduction de son album Trinity : Megatron. Orelsan a toujours tout écouté ce qui se faisait en matière de Hip Hop et s’en est toujours nourrit, ici il montre qu’il a digéré cette vague néo futuriste jusqu’au flow, cette vague dont Laylow est aujourd’hui le maitre. Ce qui est parfait, car ce style correspond totalement aux instrumentales de Skread de manière générale et particulièrement celle de l’odeur de l’essence dans ses passages les plus bruts, sans base mélodique, comme ce premier couplet.
A la fin de celui-ci, après avoir défini tous les termes décrivant la société dans laquelle une majorité des politiques veulent nous faire croire que nous sommes comme nostalgie, incompréhension, peur, désespoir, paranoïa, panique, méfiance, il arrive à « La haine : les faire basculer dans les extrêmes, allumer l’incendie, tout enflammer. ». La petite voix revient, avec une alarme, nous assistons à une mise au bucher moderne, un gigantesque incendie accompagné de son odeur d’essence. L’instrumentale devient de plus en plus omniprésente au fur et à mesure du morceau, elle nous transporte et nous fait suffoquer dans cette odeur d’essence que l’on ressent dans ce son.
Celui-ci est parfaitement illustré par le clip de David Tomaszewski. Celui qui avait façonné le personnage de super héros lors du deuxième album du rappeur : Le chant des sirènes, revient travailler avec Orelsan dans un clip grandiose à la hauteur du morceau. Tout le clip tourne autour d’un plateau virtuel. Le réalisateur a mis de coté ses effets spéciaux caractéristiques du chant des sirènes pour se concentrer sur des plans léchés et une réelle réflexion autour de l’utilisation du plateau. Celui-ci crée des perspectives, des illusions et permet d’illustrer toutes les paroles d’Orelsan. On y retrouve même Orel avec ses yeux blancs, ceux de Raelsan. C’est déjà une référence au propre travail de Tomaszewski, étant donné que c’est lui qui avait eu cette idée dix ans plus tôt mais surtout un moyen de montrer que c’est un Orelsan engagé qui revient.
A la fin du premier couplet, le plateau virtuel s’enflamme à l’image de la dernière punchline, et lorsqu’il recommence à rapper il met enfin les mots qu’on avait déjà tous compris sur ses paroles du premier couplet « Les jeux sont faits, tous nos leaders ont échoué, ils seront détruits par la bête qu’ils ont créé ».
Il se met ensuite à faire un constat d’urgence de notre société en expliquant le basculement vers les extrêmes, l’hystérie que créent les chaines d’infos en continus, les dégâts que toutes ces choses entrainent. On se sait plus qui est la cause de quoi, la société est devenue un serpent qui se mord la queue, il n’y a plus de début, tout s’envenime, tout est prétexte à s’envenimer.
Plus les paroles avancent, plus l’on comprend le pourquoi du comment de ce morceau et de cet album. Civilisations parlera de la notre principalement, il utilise aussi surement ce terme pour exprimer de leur effondrement. Dans le morceau il dit « On va tomber comme les mongols, comme les égyptiens, comme les romains, comme les mayas, comme les grecs ». Ce morceau est une alarme, pour se rendre compte que si l’on ne réagit pas notre civilisation tombera plus vite que l’on peut le penser.
Juste avant cette phase, on note tout de même une référence à lui-même reprenant le même style de rimes que dans bloqués à répéter le même mot à la fin de plusieurs phases à la suite « Entourés de mongols, l’Empire Mongol, on fait les mongols, pour plaire aux mongols », phase qui a surement dû provoquer un petit sourire en coin pour tous les fans qui le connaissent depuis le premier album des Casseurs Flowteurs.
Il faut aussi noter que ce morceau arrive en pleine campagne présidentielle, ce qui n’est pas anodin, on voit dans le clip les manifestations des dernières années comme les gilets jaunes, symptomatiques de l’état du pays que décrit Orelsan, mais aussi des images de migrants sur des canaux de sauvetage ou des policiers.
On a aussi pu lire que ce morceau faisait penser à Suicide Social, comme une version mature. Bien que je comprenne pourquoi on peut penser cela, ces morceaux sont intrinsèquement opposés. Lorsque Suicide Social était une rage pleine de clichés envers tous les acteurs de la société d’un personnage prêt à se suicider, l’odeur de l’essence est un constat mesuré et lucide d’une société qui va mal par Orelsan qui lui, veut justement vivre.
On ne peut qu’avoir hâte de découvrir tout l’album dès ce soir. Maintenant que le thème principal de l’album est clair, voyons sur quels terrains il est allé pour les autres morceaux, de quoi s’est-il nourrit depuis 4 ans. On peut supposer un milieu d’album très politisé quand l’on voit s’enchainer sur la tracklist des sons comme Seul avec du monde autour, Manifeste, l’odeur de l’essence. A noter aussi que le morceau qui suit l’odeur de l’essence est Jour meilleur, peut être une réponse à l’alarme qu’est l’odeur de l’essence.
Il me presse de découvrir tout cet album en tout cas qui finit par le morceau éponyme, qui est surement celui que j’attends le plus, déjà par son titre Civilisations et aussi par l’historique des outros d’Orelsan, toutes plus flamboyantes les unes que les autres. Lorsque dans sa dernière outro Notes pour trop tard, il parlait à lui-même du passé, on peut espérer que dans Civilisation, il nous parlera de son espoir pour le futur.
Paul Mercier
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